TRESCO ABBEY GARDEN
Tous les amoureux des jardins en ont entendu parler, au moins une fois. Ce jardin est fabuleux, mais presque inaccessible.
Inaccessible ? Ce n'est pas tout à fait le cas, mais c'est vrai que l'on ne le programme pas volontiers dans ses périples, et vous allez comprendre pourquoi.
Pour nous, c'était le 18 août 2020. C'était notre seconde tentative. Celle de 1999 avait lamentablement échouché, à notre grand regret.
Mais quel cadeau ! Un de ceux qui sait se faire attendre, certes, mais pour quels plaisirs !
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L'archipel de Scilly semble perdu au milieu de l'océan, pourtant il a jeté ses centaines de pierres à quelques 45km des côtes découpées des Cornouailles, à l'extrême sud-ouest de l'Angleterre. Le premier défit est de quitter l'île britannique, pour rejoindre Saint-Mary, la plus grande des îles, ou mieux encore Tresco. Un seul point de départ, Penzance, le port ou l'héliport; et puis il faut prier Lir ou Taranis pour qu'il fasse beau. En bateau, plus d'une demi journée est nécessaire, raisonnablement, pour relier la terre presque ferme jusqu'à Tresco. Il n'y a pas de ligne directe. Saint-Mary, bien connue des contrebandiers de jadis, s'impose.
En 1999, une purée de pois nous avait accueillis à Penzance. Les vols étaient annulés. Impossible d'en réserver un autre pour le lendemain ou le jour d'après. Tout était vendu. Les bâteaux étaient cloués au port. A moins d'y séjourner un mois au minimum pour trouver un nouveau vol, nous avons dû renoncer.
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A une envolée
Le 18 août 2020 fut bleu, pratiquement libre de nuage. Notre vol, plus ou moins 250,00€ l'allez-retour par personne, était réservé depuis des mois. Mais l'entrée du jardin est gratuite !
Hier, il avait plu et demain ils annonçaient une journée plutôt grise. Une seule journée serait clémente cette semaine et c'était aujourd'hui.
Quelle chance ! Cette fois Lir était de notre côté, prêt à nous accompagner au dessus de ses flots calmes et paisibles.
Nous étions 8 à embraquer, tous masqués (merci la covid) , même Ness du haut de ses 8 ans.
Une occasion de voler est toujours une occasion de se libérer du monde, de le dominer, de le découvrir autrement. Les côtes des Cornouailles se découpent avec élégance et dégagent en un instant le Mont Saint-Michel. Non pas le normand. Moins populaire, il donne néanmoins une belle réplique à son voisin d'en face.
Le trajet file et les terres ne nous abandonnent guère. Très vite nous rejoignons les premiers éclats de l'archipel.
L'océan se décline en autant de nuances de bleus que de profondeurs qu'il fait varier suivant son humeur. On s'imagine bien loin de l'Angleterre, avec ces plages de sable fin, ces eaux turquoises. Il fait 23°C au sol, canicule pour les gens du cru, ils ont rarement connu cela. Nous frissonnons. Ce ne sera peut-être pas si chaud finalement.
En approchant, nous survolons ce qui semble être un château, une belle demeure, en tous cas. Il s'agit de la maison familliale des Dorrien-Smiths, installée sur l'île depuis 1834. Nous l'avons appris plus tard.
Une île presque déserte
A son arrivée sur l'île, en 1834, Augustus Smith s'étonne de ne presque plus rien trouver de l'ancienne abbaye bénédictine. Les moines avaient séjourné en retraite paisible entre 1042 et 1066 dans un prieuré dédié à Saint-Nicolas. La découverte des ruines donne le départ aux premiers gestes paysagers et inspire le nouveau propriétaire. Ces espaces à ciel ouvert, de pierres et de verts deviennent l'emblème des lieux.
Le climat particulièrement doux permet aux rêves les plus fous de toucher une réalité. Plus que partout ailleurs en Cornouailles, les plantes exotiques se plaisent et s'épendent en de multiples variations. Les palmiers sont importés en masse, ainsi que beaucoup de plantes exotiques, comme les cordylines, qui adoptent des tailles impressionnantes. Nos plantes d'appartement ? Ce sont des arbres !
Le temps d'une visite
Le pied à peine à terre, le jardin nous invite à la sortie de l'héliport.
Une journée, ce ne sera pas trop. On pourrait y rester davantage, flaner, rêver, s'imprégner de la richesse du monde.
Le 'Bridge' donne le ton, à l'ombre des pins. Dessiné par Robert Dorrien-Smith en 2004, il s'implante de ses poteaux bleu roi et annonce des chemins souvent droits, mais regorgeant se surprises à chaque pas. Le jardin continue son développement sous les mains de la famille installée depuis bientôt 200 ans, mais aussi grace à une équipe de jardiniers de renommée.
Au bout du chemin, c'est le jardin méditerranéen qui prend place avec sa maison coquillage réalisée par Lucy Dorrien-Smith. Elle s'est installée sous un titan protecteur : un cupressus macrocarpa aux mensurations de géant.
Des tableaux riches orchestrés d'une main de maitre
Les pins torturés, les agapanthes et autres Leucadendron argenteum nous bercent dans une romance envoutante venue d'ailleurs. Nous ne sommes plus en Angleterre, c'est une certitude.
La promenade s'inscrit dans une pente relative, escaliers, rampes; et de temps à autre la vue s'ouvre vers la mer.
Le vieux verger à l'Est s'est transformé en jardin atypique où se mèlent les Erica arborea 'Albert's Gold', Wollemia ou encore les Araucaria heterophylla.
De larges chemins finement engrenaillés se faufilent entre les parterres exubérants où les pauses s'invitent fréquemment. Bancs de bois, murets de pierre, poteries de plantes grasses, bouquets floraux de pleine terre et sculptures sont autant d'attraits qui nous retiennent un instant.
'Tresco Children' par David Wynne - Echange d'un souffle d'eau
Les plantes
Amomyrtus luma - hors catégorie
Angophora costata
Erica baueri subsp. baueri Erica cerinthoides
Erica glandulosa Erica diaphana
Des eucalyptus à la pelle, nous avons changé de continent, carrément. Des feuilles, des écorces et des fleurs !
Eucalyptus ficifolia
Eucalyptus grandis Eucalyptus regnans
Eucalyptus cypellocarpa Eucalyptus tenuiramis
Eucalyptus delagatensis Eucalyptus bosistoana
Et encore ...
Leucadendron argenteum Leucadendron laureolum Burgundy Sunset
Clethra arboreum Cordyline indivisa
Dendroseris littoralis Grevillea lanigera Mount Tamboritha
Lophostemon confertus Rhopalostylis sapida
Saurauia napaulensis Phymatosorus aff. scolopendria
Hedychium gardnerianum Protea neriifolia
Protea cynaroides
Melaleuca alternifolia
Faisans dorés
Ils sont incontestablement les rois du domaine. Ils y abondent et ravissent Ness.
Et on s'évade encore
A Tresco, le jardin de l'abbaye, ce n'est pas tout. Il fait beau et chaud, un temps propice à la farniente ... au bout du monde, nous semble-t-il. Ces moments suspendus, dans un morceau de paradis, font tellement de bien à nos âmes.
Ness y court.
Seuls, au bout de ce monde, des milliers de grains de sable, un peu de terre, un peu de pierre, et si on y restait pour toujours ?
Bénédicte Nicolas
Perdue au pied d'une abbaye bénédictine aux louanges de Saint-Nicolas
Tresco, le 18/08/2020
Photos Laurent Gillet et Bénédicte Nicolas